jeudi 31 août 2017

"Pachinko" (Min Jin Lee)


Dans un petit village de pêcheurs au sud de la Corée, sous l'occupation japonaise au début du XXème siècle. Sunja, 15 ans, a perdu son père et tient avec sa mère une modeste pension où toutes deux travaillent très dur pour subvenir aux besoin de leurs clients. Lorsque la jeune fille tombe enceinte d'un yakuza marié, son avenir se trouve compromis. 

Mais Isak, un prêtre chrétien à la santé fragile dont elle s'est occupée pendant qu'il souffrait de pneumonie, lui offre une chance de salut: il l'épousera, donnera son nom à l'enfant et l'emmènera avec elle au Japon pour y commencer une nouvelle vie. A leur arrivée à Osaka, Sunja se rend vite compte qu'ils sont condamnés à une pauvreté et une discrimination perpétuelles dans un pays qui ne veut pas d'eux... 

"Pachinko", c'est une chronique qui s'étend de 1911 à 1989, et qui retrace l'évolution d'une famille d'immigrés coréens au Japon, avec une emphase particulière sur la période très difficile de la Seconde Guerre Mondiale. Le manque d'argent, la faim chaque jour, le racisme ordinaire modèlent tragiquement la vie de Sunja. Pourtant, cette femme fière et dure à la tâche ne baisse pas les bras et, sans se rebeller ouvertement contre son sort, tente toujours de tirer le meilleur parti de la situation. 

Mais si ses deux fils vont réussir à se sortir de la misère grâce au pachinko, un jeu d'argent typiquement japonais, leurs origines les empêcheront à tout jamais d'être considérés comme des gens respectables dans le seul pays qu'ils auront connu. Récit bien documenté, très réaliste et dépourvu de pathos, "Pachinko" montre le Japon sous son jour le moins glorieux, celui d'une xénophobie rampante qui perdure à travers les générations. Il n'a pas encore été traduit en français.

vendredi 25 août 2017

"Le tango d'Antonella" (Magali Le Huche)


Antonella vit au dernier étage de son immeuble. De là, elle peut appeler ses amis les oiseaux et les cacher dans son immense chevelure pour aller danser le tango - sa grande passion. Un jour, un aviateur prénommé Helmut s'écrase dans un arbre voisin. C'est le coup de foudre. Mais Antonella est une passagère problématique, et Helmut un piètre danseur. Les deux tourtereaux trouveront-ils quand même le moyen de vivre leur histoire? 

Après "Verte" et "Eléctrico 28", "Le tango d'Antonella" est le 3ème album jeunesse de l'illustratrice Magali Le Huche par lequel je me laisse charmer. Ici, elle signe également le scénario, dans une même veine tendre et joyeuse à la fois, pleine d'une fantaisie qui enchante le quotidien et donne envie de vivre dans un de ses albums. Au passage, elle glisse une invitation à accepter l'autre tel qu'il est et à se créer une façon de vivre taillée sur mesure. Je suis définitivement fan. 

Merci aux éditions Sarbacane pour cette lecture. 



jeudi 24 août 2017

"Le gang des rêves" (Luca di Fulvio)


1909. Cetta Luminati a quinze ans et un bébé de six mois quand elle quitte sa famille et son Italie natale pour se rendre aux Etats-Unis. A leur arrivée, son fils est rebaptisé Christmas et la jeune fille attire l'attention de Sal, un gangster laid et bourru qui l'envoie travailler dans une maison close. Mais rien ne peut entamer la détermination de Cetta: grâce à elle, son fils sera américain. 

1922. Christmas rêve de devenir quelqu'un malgré la pauvreté du quartier dans lequel il a grandi. Et pour cela, il ne voit qu'un moyen - devenir un chef de bande respecté. Jusqu'au soir où il sauve une gamine de treize ans qui vient d'être battue, violée, mutilée et laissée pour morte. Ruth Isaacson est issue d'une riche famille juive, et en dépit de tout ce qui les sépare, Christmas tombe immédiatement et violemment amoureux d'elle...

Un roman historique qui parle du rêve américain, mais aussi de la fascination exercée par la radio et par le cinéma. Une chronique sociale qui dit la misère des immigrés, le désespoir ou la criminalité auxquels ils sont poussés, les tensions communautaires, le racisme ordinaire envers les Noirs, les violences faites aux femmes. Une histoire d'amour impossible à première vue et pourtant plus fort que tout. Une série de portraits magnifiques, extraordinairement vivants et humains. "Le gang des rêves" est tout cela et bien plus encore. Une saga réaliste et bien documentée, comportant des scènes très dures, et qui déborde pourtant d'énergie et d'espoir. Près de mille pages dans lesquelles on s'absorbe totalement et dont on regrette de voir arriver la fin. Mon gros coup de coeur du mois d'août. 

dimanche 20 août 2017

"Ornithomaniacs" (Daria Schmitt)


La mère de Niniche veut faire d'elle un phénomène de foire. Il faut dire que l'adolescente de quatorze ans est née avec deux petites ailes de plumes dans le dos... et ne rêve que de se les faire enlever. Un jour, croyant se rendre dans une clinique recommandée par son amie Tina, elle tombe sur deux étranges personnages: Icare momifié et le professeur Balaeniceps Rex. Tous deux se proposent avec enthousiasme de lui apprendre à voler. Mais leur dévouement est intéressé, et bientôt, le piège se referme sur Niniche...

Si c'est le somptueux graphisme de cette bédé qui a d'abord attiré mon attention en librairie, je peux vous assurer que je n'ai pas non plus été déçue par son histoire. A la fois dessinatrice et scénariste, Daria Schmitt livre ici une fable gothique envoûtante, sorte d'"Alice au pays des oiseaux" d'une centaine de pages en noir et blanc très dense. D'abord onirique et cruelle,  elle finit par basculer dans la légèreté et l'absurde sur le dernier quart. Mais même si ce changement de ton peut désarçonner, "Ornithomaniacs" reste un régal pour les yeux comme pour l'imagination.




jeudi 17 août 2017

"Une histoire des abeilles" (Maja Lunde)


Angleterre, 1851. Père dépassé et époux frustré, William a remisé ses rêves de carrière scientifique. Cependant, la découverte de l'apiculture réveille son orgueil échu: pour impressionner son fils, il se jure de concevoir une ruche révolutionnaire. 
Ohio, 2007. George, apiculteur bourru, ne se remet pas de la nouvelle: son unique fils, converti au végétarisme, rêve de devenir écrivain. Qui va donc reprendre les rênes d'une exploitation menacée par l'inquiétante disparition des abeilles? 
Chine, 2098. Les insectes ont disparu. Comme tous ses compatriotes, Tao passe ses journées à polliniser la nature à la main. Pour son petit garçon, elle rêve d'un avenir meilleur. Mais lorsque ce dernier est victime d'un accident, Tao doit se plonger dans les origines du plus grand désastre de l'humanité. 

Si vous vous intéressez un tant soit peu à l'actualité et surtout à l'écologie, vous n'avez pu manquer d'entendre les avertissements au sujet de la mortalité effarante des abeilles, en raison des pesticides et du changement climatique. Il est probable que l'espèce disparaîtra dans un avenir proche, bouleversant l'agriculture mondiale et entraînant des famines un peu partout. C'est donc à un sujet particulièrement anxiogène que s'attaque l'auteure norvégienne Maja Lunde dans son premier roman pour adultes.

Et pourtant, au premier abord, il semblerait que la question des abeilles ne soit qu'un accessoire pour parler de lien parental et de transmission. William et George, les narrateurs dont le récit se déroule pendant l'histoire connue, sont avides de léguer quelque chose à leur fils presque adulte et désespérés de voir celui-ci leur échapper un peu plus chaque jour. Pour Tao en revanche, il ne s'agit pas de perpétuer un quelconque héritage familial mais bien de permettre à son fils de 3 ans d'accéder à une condition meilleure que la sienne dans un futur extrêmement lugubre où hormis pour les élites, les gens ne mangent plus à leur faim et n'ont aucune perspective d'épanouissement professionnel ou personnel.

En alternant les contextes à chaque chapitre, l'auteure tisse une toile au coeur de laquelle les passions individuelles s'inscrivent dans un contexte plus large aussi bien dans l'espace que dans le temps, et assez richement documenté pour faire froid dans le dos. Si vous cherchez un bouquin feel good, passez votre chemin: "Une histoire des abeilles" n'est pas pour vous. Si en revanche vous êtes prêt pour de l'anticipation qui alarme et fait réfléchir, vous devriez prendre plaisir à la lecture de ce roman original, bien écrit et plaisamment traduit. 

Merci aux Presses de la Cité pour cette lecture.

dimanche 13 août 2017

"Petites surprises sur le chemin du bonheur" (Monica Wood)


Ona Vitkus a quitté sa Lituanie natale lorsqu'elle avait 4 ans pour émigrer aux USA avec ses parents. Désormais âgée de plus d'un siècle, elle vit seule depuis longtemps quand elle se lie d'amitié avec le jeune scout envoyé pour l'aider tous les dimanche. Puis le jeune scout décède, et c'est son père, musicien passionné mais géniteur déficient, qui entreprend d'honorer le contrat passé avec la vieille dame. Très vite, il découvre que l'enfant avait mis une idée folle dans la tête de celle-ci: entrer au Livre Guinness des Records...

Ne vous fiez ni à son titre un peu cucul, ni à son illustration de couverture intrigante. Dans "Petites surprises sur le chemin du bonheur", il n'est pas question de baleines volantes ou de leçons de développement personnel, mais d'un petit garçon très spécial qui m'a parfois rappelé T.S. Spivet, de son père qui fuit depuis toujours les responsabilités affectives et d'une vieille dame bourrue mais attachante, bien décidée à ne pas céder aux indignités du grand âge. De la façon dont ils vont s'apprivoiser (parfois à contrecoeur), se soutenir et s'aider, et de ce que cela changera de fondamental dans leur existence.

Monica Wood, dont c'est le premier roman, alterne passé et présent d'une façon qui dynamise son récit et évite de le rendre trop larmoyant - puisque pour le lecteur, l'enfant est encore présent à chaque étape de l'histoire. Sans passer outre l'injustice du deuil et ses effets dévastateurs, notamment sur la mère, l'auteure sait insuffler à son récit un puissant élan de vie et d'espoir. Si vous avez lu et aimé "Vieux, râleur et suicidaire - la vie selon Ove" et "Ma grand-mère vous passe le bonjour" de Fredrik Bakman, ou si vous cherchez tout simplement un roman humaniste qui fasse chaud au coeur, je vous recommande la lecture de "Petites surprises sur le chemin du bonheur". Pour ma part, je l'ai dévoré d'un trait ce dimanche...

Merci aux éditions Kero pour cette lecture.

samedi 5 août 2017

"Le début des haricots" (Fanny Gayral)


Médecin urgentiste, Anna consacre toute sa vie et son énergie à ce métier qu'elle adore, mais où elle se trouve entièrement sous la coupe de son père - un éminent cardiologue qui terrorise tout son entourage. Le jour où elle commet une grave faute professionnelle, la jeune femme craint d'avoir fichu sa carrière en l'air. Alors, au lieu de se rendre au prestigieux congrès où elle doit présenter le résultat des travaux de son père, elle s'inscrit sur un coup de tête à un stage de psychothérapie intégrative. Elle ne croit pas beaucoup à ce qu'elle considère comme du blabla ésotérique, mais à ce stade, elle a grand besoin que quelque chose change dans sa vie...

Premier roman d'une médecin qui non seulement sait de quoi elle parle, mais qui possède aussi un joli brin de plume, "Le début des haricots" raconte avec beaucoup d'humour comment la méditation et la thérapie de groupe vont permettre à une jeune femme trop docile, depuis toujours sous l'emprise d'une figure paternelle écrasante, de se trouver elle-même et de choisir sa propre voie. Parfois, nous dit-il, les catastrophes sont l'occasion d'un nouveau départ, et ce qu'on prend pour la fin de tout n'est en fait que le commencement de quelque chose de meilleur. Un roman sympathique, résolument positif et optimiste. 

Merci aux éditions Albin Michel pour cette lecture. 

jeudi 3 août 2017

"La beauté des jours" (Claudie Gallay)


Jeanne a 43 ans, un mari épousé très jeune, des jumelles qui ont quitté la maison pour étudier dans la ville voisine de Lyon et un emploi de guichetière à la Poste. Elle aime savourer son macaron du mardi, regarder passer le train de 18h01 en imaginant la vie des gens à l'intérieur, guetter le renard qui vient parfois boire dans son jardin, monter à Dunkerque tous les ans pour les vacances d'été. Son existence routinière et plaisante lui convient parfaitement. Jusqu'au jour où un cadre se déroche de son mur, lui rappelant l'intérêt qu'elle portait autrefois à l'artiste slave Marina Abramović. Presque au même moment, Jeanne tombe par hasard sur son ancien amour de lycée, Martin, revenu dans la région pour restaurer une chapelle. Deux fenêtres s'ouvrent pour elle sur de nouveaux horizons, la poussant à s'interroger sur ses aspirations profondes et inavouées...

Si les narratrices de "Seule Venise", "Les déferlantes", "L'amour est une île" ou "Une part de ciel" se caractérisaient toutes par leur solitude, leur déracinement et leur perte de repères familiers, Jeanne est tout l'opposé: fermement attachée à la terre qui l'a vue naître et à sa famille paysanne toute proche, épouse et mère apparemment comblée qui trouve une forme de plénitude dans ses habitudes bien ancrées. Pourtant, elle aussi va tout remettre en cause: d'abord en se prenant de fascination pour une artiste aux performances extrêmes, parfois dérangeantes, qui interrogent son rapport à ses propres peurs; puis en renouant avec un homme très différent de son mari qui va aiguillonner sa soif nouvelle de culture et lui faire porter un regard critique sur l'amour solide mais prévisible qu'elle partage avec Rémy. 

Comme toujours, Claudie Gallay s'attache à décrire dans un style très simple et avec beaucoup de minutie des choses apparemment anodines qui, mieux que n'importe quelle réflexion alambiquée, mettent en évidence la mécanique de l'âme de son héroïne. Pleine de pudeur, sa littérature du quotidien et de l'ordinaire est parfois traversée de formules fulgurantes comme "l'émerveillement de vivre ce que l'on a déjà commencé à perdre" ou "on cherche à se comporter au mieux devant l'inéluctable".  "La beauté des jours" pourrait être une ode à la pleine conscience si cette expression ne semblait pas parfaitement déplacée dans l'univers sans affectation de Jeanne. C'est un roman qui parle des choix fondamentaux tapis dans chacun de nos gestes, parfois à notre insu et parfois de façon très délibérée. Un roman que, sans surprise, j'ai adoré. 

Merci aux éditions Actes Sud pour cette lecture en avant-première!

mardi 1 août 2017

"Less" (Andrew Sean Greer)


Arthur Less voit approcher son cinquantième anniversaire avec une certaine anxiété. Son éditeur a refusé son troisième roman, et l'homme avec qui il vient de passer 9 ans épouse bientôt quelqu'un d'autre. En quête d'un prétexte pour ne pas assister au mariage, Less décide d'accepter toutes les invitations qu'on lui a envoyées. Il ira à New York pour interviewer un auteur bien plus connu que lui, au Mexique pour faire une conférence, en Italie pour assister à la remise d'un prix qu'il ne remportera probablement pas, en Allemagne pour donner un cours universitaire, au Maroc pour participer à un voyage organisé en l'honneur des 50 ans d'une inconnue, en Inde pour faire une retraite et tenter de rattraper son manuscrit, et enfin au Japon pour écrire un article sur le kaizeki...

Après "Les vies parallèles de Greta Wells" (que j'ai adoré) et "L'histoire d'un mariage" (qui m'a laissée plutôt froide), "Less" est le troisième roman d'Andrew Sean Greer que je lis, et j'avoue avoir été époustouflée par la capacité de cet auteur à traiter des thèmes aussi différents dans un style nouveau à chaque fois. Ici, sa prose est un véritable enchantement, fluide et désinvolte, vivace et éloquente, subtile et ironique.

J'aurais aimé "Less" même si le sujet m'avait moins touchée - mais il se trouve qu'en plus de l'écriture brillante, le thème avait tout pour me plaire. Less est un héros inattendu, qui pourrait verser dans le pathétique voire le ridicule s'il n'était si humain donc si touchant. Au fil de ses mésaventures cocasses, de ses découvertes culturelles et de ses rencontres improbables, il fait la paix avec son passé, apprend à profiter du présent et à porter sur l'avenir un regard plus serein. A la fois comédie fine, ode au voyage et incitation à la pleine conscience, ce roman est pour moi un très gros coup de coeur.

"- Strange to be almost fifty, no? I feel like I just understood how to be young.
- Yes! It's like the last day in a foreign country. You finally figure out where to get coffee, and drinks, and a good steak. And then you have to leave. And you won't ever be back."

"It is, after all, almost a miracle they are here. Not because they've survived the booze, the hashish, the migraines. Not that at all. It's that they've survived everything in life, humiliations and disappointments and heartaches and missed opportunities, bad dads and bad jobs and bad sex and bad drugs, all the trips and mistakes and face-plants of life, to have made it to fifty and to have made it here: to this frosted-cake landscape, these mountains of gold, the little table they can now see sitting on the dune, set with olives and pita and glasses and wine chilling on ice, with the sun waiting more patiently than any camel for their arrival. So, yes. As with almost every sunset, but with this one on particular: shut the fuck up."

EDIT 8/2/19: Désormais disponible en français sous le titre "Les tribulations d'Arthur Mineur", dans une traduction de Jacqueline Chambon.